Des enfants sans parents…

Mais où sont les parents des charmants enfants, peints par Gérald Engelvin ?
Nulle trace d’un papa ou d’une maman dans ses tableaux. Comme si ces enfants, sages et songeurs, étaient capables de se garder tous seuls… C’est une belle énigme que cet artiste nous demande (ou pas) de résoudre. Ces jolies petites têtes brunes ou blondes lisent, jouent aux cartes ou aux dés,
se regardent dans des miroirs, rêvent, songent ou se sont endormis sur des livres demeurés grands ouverts… Ces enfants-là semblent ignorer les nouvelles technologies. Pas de téléphone portable, nul ordinateur, aucun jeux-vidéo ou liseuse numérique… Ils jouent avec les figurines de simples jeux de cartes, sont plongés dans les mots et les univers des livres ou questionnent des miroirs :
«Miroir, mon beau miroir, suis-je déjà jolie ?» semblent demander les ravissantes petites filles ou bien encore, nourries des contours romanesques de leurs lectures s’interrogent-elles sur :
« est-ce que je vis encore dans le monde de l’enfance ou ai-je déjà délicatement posé un pied dans la préadolescence ?». Le temps semble s’être arrêté, tant pour le peintre que pour les enfants eux-mêmes. Pourquoi ? Par nostalgie d’une enfance douce, sereine et innocente que le peintre cherche à retenir et à retrouver ? Cette magie de l’enfance qu’il a vécu lui-même ? Ou bien Gérald Engelvin rêve-t-il que les enfants d’aujourd’hui soient protégés de toutes les «agressions» de la modernité afin de vivre plus intensément dans l’imaginaire et la simplicité des jeux d’autrefois ?
«Nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits»… nous dit William Shakespeare.
Les enfants de Gérard Engelvin sont songeurs et contemplatifs. Ils ont l’étoffe, la personnalité, l’épaisseur que leur insuffle leur père artistique qui les fait vivre sous nos yeux, dans des univers solitaires, sobres et feutrés. Quant aux « étoffes » au premier degré, portées par les enfants, ce sont des tissus naturels et presque sensuels : robes de coton léger à petits volants seyants, pulls ou gilets de laine aux couleurs lumineuses, jupes plissées et soyeuses… Rien n’est laissé au hasard : le décor et les intérieurs sont toujours sobres, raffinés et de bon goût. Ni dorure ni paillette, rien de clinquant, rien de « bling-bling », mais des murs hauts, aux motifs parfois surannés et aux boiseries finement sculptées.Tout est tellement maîtrisé que ces tableaux sont des compositions de scènes théâtrales, des cadrages cinématographiques : effets de grands rapprochements de l’œil, au plus près des enfants, mais aussi et à l’inverse : grand recul de celui qui regarde l’enfant regardé par des ouvertures de profondeurs de champ, des pièces mises en perspectives et de grandes enfilades à l’italienne. Tout est doux dans l’univers de Gérald Engelvin : couleurs cérusées des décors et des corps, fauteuils ou canapés aussi solitaires que les enfants assis ou endormis dessus, lumières dorées et chevelures blondes, coussins moelleux et tresses voluptueuses. Tout y est apaisant, serein, calme, dans un espace-temps comme protégé. Il y a là le goût du « temps perdu et du temps retrouvé » d’un Marcel Proust. On imagine que bientôt pour le goûter, on servira aux enfants, des jus de fruits colorés et pulpeux, des confitures onctueuses et sucrées, accompagnées de madeleines odorantes et dorées… Monsieur Proust êtes-vous là ?…bien caché derrière le grand canapé peut-être ? Ou entre les lignes des livres si attentivement lues ? Ces enfants, libres de parents et apparemment si sages, sont aussi de grands voyageurs spirituels, libres de pensées et de rêveries. Les miroirs, les cartes et les livres sont autant de portes ouvertes et de passages secrets vers un ailleurs sans limite imaginaire… Comme il a raison Gérald Engelvin « d’effacer » les parents de ses tableaux, il gomme ainsi tous les obstacles pour nous faire mieux rentrer dans « Le vert paradis des amours enfantines…L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ? ». C’est sans nul doute Charles Baudelaire qui en parle le mieux…


Marie Nancy réalisatrice et scénariste TV

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